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  • MOPTI

    Carrefour de cultures

    Mopti, glissée entre deux bras du Niger, port, marché, capitale économique de la région, grand lieu de brassage où se côtoient Peuls, Touaregs, Songhays, Bozos, Dogons et Bambaras, est la descendante et l'héritière des illustres cités soudanaises du moyen-âge.

     Fétiches en transe  Fétiches en transe

    Mopti est un camaïeu de tous les ocres : le sable, la paille, l'argile cru des maisons et la savane proche. Mopti, avec son port, ses marchés flottants aux pirogues chargées à ras bord de poissons frais ou séchés, de chevreaux, de nattes et de calebasses gravées, Mopti, étincelante des lourds bijoux d'or des femmes peules, des somptueux boubous brodés des riches marchands, de tous les produits d'un artisanat superbe et diversifié, est un centre d'échanges haut en couleur.

      

    Mopti, c'est enfin la continuatrice des grandes universités de l'Islam, comme Tombouctou ou Djenné, autrefois florissantes. De cette tradition, les enfants de Mopti sont les descendants spirituels. Qu'ils soient Peuls, Bambaras ou Songhays, ils ont été profondément marqués par l'impact de cette histoire.

     

    A Mopti les enfants font leurs jouets, comme leurs ancêtres, de siècle en siècle, le firent avant eux. Enfant de la tradition, l'enfant de Mopti, quel que soit son groupe ethnique, est aussi un enfant de la modernité urbaine. Dans son univers s'entremêlent des éléments traditionnels : village, culture, circoncision, culte des ancêtres et des éléments sans cesse nouveaux : progrès, argent, profit, consommation...

    Fétiches en transe   Fétiches en transe

    LES JOUETS

    Les enfants s'inventent leurs jeux, fabriquent leurs jouets, les brisent, les recréent aussitôt, perpétuant ainsi la créativité propre à leur âge. Pour ce faire, ils rivalisent de malice, d'adresse et d'ingéniosité.

    Ils utilisent, sans préjugé, tous les matériaux qui leur viennent sous la main. Ceux que leur fournit la brousse : feuilles, herbes, arbres, écorces, minéraux. Ceux que leur offre la ville, les trésors rebuts du monde moderne : vieilles boîtes, vieux pneus, etc. Et tout cela, dans leurs mains pleines de plantes couleurs et de plumes d'oiseau pinceaux va devenir poupée, camion, boîte à musique ou cerf-volant.

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     Mais, surtout, le fleuve leur fournit le banco, une argile qui joue un rôle essentiel dans l'art et les techniques de cette région. C'est avec elle que l'on construit les maisons. Elle a permis l'édification de chefs-d'œuvre d'architecture, comme les mosquées de Tombouctou, de Djenné, de Mopti même. Elle a marqué de son empreinte toute une civilisation. On la retrouve dans la technique traditionnelle de la poterie, perpétuée par les femmes, et qui comporte aussi bien la fabrication des ustensiles ménagers que celle de parures ou d'objets de culte.

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    La matière première est prise aux points d'eau ou récupérée sur les chantiers de construction des maisons en banco. Les enfants la malaxent pour en faire une boule dans laquelle sera modelé le jouet. Ils ajoutent du son de riz ou de grain. Le plus souvent, ils laissent sécher leur création. Parfois ils la cuisent, soit dans un trou où ils alternent jouets et couche de paille, soit dans un four.

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    La couleur s'applique après la cuisson. Le noir est obtenu à partir du charbon de bois, le rouge avec de la latérite, et enfin le blanc avec de la boue séchée. Pilée et diluée dans l'eau la couleur est appliquée avec les doigts ou à l'aide de plumes d'oiseaux.

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    Ces trois couleurs, les plus répandues en Afrique, sont, chez les Bambaras, l'ethnie dominante au Mali, les couleurs fondamentales. Il existe un lien entre elles et la cosmogonie. Chacune a son histoire et son rôle dans les rites. Bien plus : par elles, les choses et les êtres se trouvent engagés dans un système relationnel qui définit leur place dans l'univers.
    La découverte du blanc, selon la tradition, est liée à la technique du filage du coton. Il est utilisé pour le filage, le blanchissement des maisons et les objets de culte.
    Le rouge est lié aux techniques de la forge et de la poterie. Ce sont les forgerons qui, dit-on, trouvèrent les premiers cette couleur pour imiter le feu et l'arc-en-ciel.
    Le noir tire son origine de la terre, mais veut.selon la tradition, imiter l'aspect du ciel orageux et du tonnerre. Ces couleurs sont introduites dans les rites vestimentaires (pagnes indigo, cotonnades en bandes blanches, rouge des sandales).

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    Les jouets modelés par les enfants sont, au départ, liés aux pratiques traditionnelles de leur société. Ils reproduisent des modèles : le paysan et sa daba (houe), le travail aux champs, les attelages, les animaux domestiques, les pêcheurs, les pirogues. Ils racontent le village et la ville, reproduisent en miniature maisons et mosquées.

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    Et la maîtrise de la technologie qui se transmet dans une même classe d'âge de six à douze ans laisse une ouverture, une vaste marge dans laquelle les objets les plus fantastiques peuvent se construire, et le réel se transformer sans limites apparentes. Singulièrement, les enfants reproduisent aussi des choses qui n'existent plus : témoins ces attelages qu'ils n'ont jamais vus, que leurs pères ou grand'pères n'ont pas vu non plus, mais qui se transmettent pourtant de génération d'enfants en génération d'enfants comme autant de signes d'une mémoire collective.

    Fétiches en transe   Fétiches en transe   Fétiches en transe

    Les zébus une fois secs sont recouverts de terre ocre ou rouge, puis décorés de taches sombres ; ils ressemblent à s'y méprendre à des peintures rupestres.

     Plus que des jouets, les réalisations d'un petit potier de Mopti deviennent, en fait, un savoir-faire transmis de génération en génération. Et peut-être prennent-elles la place d'une écriture qui n'existait pas dans la tradition et n'est arrivée que par l'islamisation à travers les versets du Coran. Ces signes jouets ne sont pas morts, vides de sens. Ils sont inscrits dans la terre, transmis, transformés, dans la répétition et la reproduction, ils sont supports de la mémoire collective des enfants.

     

    Jean-Jacques Mandel et Armelle Brenier-Estrine

    Cet article est paru dans le magazine "Cent idées" de février 1976.

     

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